Le rapt de Louis Garrel

Suis-je déterminé ou pas assez déterminé?

En 2004 j’étais en passe de sortir du CNSAD. Nous étions en voyage scolaire à Milan au Piccolo Teatro dirigé L. Ranconi. Je passais le plus clair de mon temps à sécher les cours, à traîner dans Milan en fumant des clopes.  Une autre partie de notre promo était très studieuse et choquée par notre attitude méprisante à l’égard des enseignants italiens et des élèves qui les adoraient.  Nous considérions probablement que nous étions au-dessus de tout ça. 
Il y avait dans ma promotion un jeune comédien, appelé Louis Garrel, fils du réalisateur Philippe Garrel qui intervenait dans notre école. Louis venait de tourner avec B. Bertolucci. Le film était sorti en Italie et en déambulant dans les rues de Milan, je réalisais peu à peu que Louis était connu, mais vraiment connu. Des jeunes milanaises l’interpelaient: “Louigi Garrel!  Louigi Garrel!” Il était déjà un sex-symbol ou quelque chose comme ça et moi je ne voyais que très peu l’écart qui nous séparait et qui se creuserait encore pour finalement devenir un abîme. Ce que je ne réalisais pas à cette époque ou ne voulais pas réaliser, c’est que beaucoup de choses étaient déjà jouées. Pas réellement parce que Louis était le fils de Philippe, pas seulement, mais parce que Louis était Louis, et Bryan, Bryan. Quand Isabelle Huppert est venue le voir jouer lors des journées de juin qui marquaient la fin de l’aventure du CNSAD, je suis passé à côté d’eux sans y prêter complètement attention. 

20 ans plus tard. Louis fait le métier que le jeune Bryan désirait tellement faire. Je suis heureux certes, mon parcours est une histoire d’ascension sociale par rapport à mon milieu d’origine. Mais quelque chose d’incroyablement violent se joue dans l’existence, dans l’inégalité des parcours des uns et des autres et j’aimerais interroger cette inégalité au théâtre. Combien d’argent de plus que Bryan, Louis gagne-t-il alors qu’ils ont fait la même école ? Pourquoi ? Est-ce la faute de Bryan ? N’y a-t-il pas assez mis de croyance ? De détermination ? Tout était-il joué d’avance ? Qu’aurait pu faire Bryan pour infléchir le destin différemment ? Est ce que notre colère de pauvre, notre frustration ne cache pas en réalité notre manque de volonté, notre incompétence ?

Et si Bryan était si frustré, ou dans le besoin, qu’il décidait de kidnapper Louis Garrel.
Pour lui soutirer de l’argent ? Pour se venger ? Ou pour essayer de comprendre l’insaisissable inégalité entre les hommes ?

Avec cette pièce, je désire interroger mes propres démons, mon propre sentiment d’échec, ma crédulité, mes colères qui ne sont parfois que des refuges pour ne pas voir une tristesse profonde de ne pas avoir vu certains de mes rêves s’accomplir, d’avoir abandonné tant de combats. 

Bryan Polach

Je fais partie de la classe moyennement classe.

Orelsan