(En cours de rédaction)
Nos axes de travail mêlent à la fois des préoccupations thématiques et esthétiques.
Avec en tête toujours la question : comment le théâtre peut faire récit dans le monde aujourd’hui.
De quoi on parle / A qui l’on parle / Comment on en parle.
3 questions simples mais pas tant que ça. 3 questions un peu obsédantes auxquelles on va chercher nos réponses.
UNE DEMARCHE
Nous souhaitons travailler dans la continuité de notre première création Violences conjuguées (Création Mains d’Oeuvres, septembre 2017).
Cette pièce a été écrite dans un long et lent processus, à partir d’interviews réalisées auprès de membres de la famille du comédien, Bryan Polach, et de nombreuses improvisations et recherches au plateau. L’idée de départ était plutôt simple : raconter le parcours d’un homme qui a été témoin de violences conjugales envers sa mère quand il était enfant, qui ne s’en souvient pas et cherche à savoir ce qui s’est passé pour se libérer de cette histoire et vivre sa vie d’homme et de père. raconter donc du point de vue de l’enfant, et du point de vue d’un fils. Dont le rapport à la masculinité s’est construit dans un rapport à la violence ( sa présence, sa peur, son rejet).
Nous avions donc au départ les interviews retranscrites, et un certain nombre d’idées de scènes montrant le personnage dans sa vie quotidienne, confronté à des situations de violences.
Nous avons fait aussi toute une recherche dramaturgique et de jeu sur la question du rapport masculinité/violence dans une perspective plus historique et plus générale, pour finalement abandonner ces passages dans la pièce et recentrer sur l’autofiction, en postulant et en espérant que l’histoire singulière contient en elle même celle des autres et la raconte.
Grâce à de nombreuses résidences et surtout à un local que nous partageons avec plusieurs artistes de notre territoire rural du Cher, nous avons pu prendre énormément de temps pour construire ce spectacle.
Un processus d’écriture au plateau …
… qui se nourrit de nombreux matériaux : références théâtrales, mais aussi essais, situations de la vie quotidienne et actualité, littérature, éventuellement de nouveau interviews et entretiens
… et qui prend le temps.
#AXE 1 : MASCULIN(S)/ FEMININ(S)
Parce qu’au cours de la journée des droits des femmes, on parle des femmes : les injonctions qui pèsent, les contradictions, les violences, les bonheurs (on en parle pas beaucoup), des femmes.
Mais il nous semble que questionner la situation des femmes, les constructions du féminin, ne peut pas se faire sans questionner… celle des hommes, et des constructions du masculin. Parce que chercher à comprendre les rapports de domination implique de se positionner des deux côtés de la relation. Et parce que « les hommes » aussi, même si globalement ils font partie d’un « groupe » qui a du pouvoir sur un autre « les femmes », subissent une construction du genre qui peut être difficile et qui est en tous cas complexe. Violences conjuguées, en s’interrogeant sur les violences conjuguales du point de vue de l’enfant, et du point de vue d’un enfant garçon, en posant donc les questions de la transmission de la violence et son rapport à la construction d’une identité masculine, pose les premiers jalons de notre réflexion.
Quelques références (merci à Victoire Tuaillon pour son aide) :
DESPENTES Virginie, King kong théorie.
BENVIDO Bruno (dir.), Masculinités, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2009.
DULONG Delphine, GUIONNET Christine, NEVEU Érik (dir.), Boys don’t cry ! Les coûts de la domination masculine, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012
Et une émission sur France Inter au sujet de cet ouvrage.
JAMOULLE Pascale, Des hommes sur le fil. La construction de l’identité masculine en milieux précaires, Paris, La Découverte / Poche, 2008, 292 p
SOHN Anne-Marie, « Sois un Homme ! » La construction de la masculinité au XIXe siècle, Paris, Editions du Seuil « L’Univers Historique », 2009, 461 p.
Le site Good men project.
#AXE 2 : AUTONOMIE/DOMINATION (ou VERTICAL/HORIZONTAL) (Ce qui a rapport avec l’écologie, par exemple, mais oui).
Une question centrale dans l’évolution du monde aujourd’hui, à notre avis. Qui court dans tous les domaines : l’écologie (la crise écologique actuelle ne serait elle pas le résultat d’une vision dominatrice, descendante, verticale de la nature en tant que potentiel de ressources), l’éducation (comment et pourquoi construire un rapport aux enfants et à l’éducation qui ne soit pas uniquement un rapport descendant), l’organisation sociale (pourquoi continuer à accepter de déléguer notre pouvoir à des gens qui ne détiennent leurs positions uniquement justement par le jeu de cette délégation? comment s’organiser autrement?).
Et comment ces questions peuvent elles prendre une forme théâtrale, concrète, parce qu’elles traversent nos vies et qu’on a besoin d’entendre des gens aux prises avec ça, comment ils s’en débrouillent?
Quelques références :
Bruno, Latour, Face à Gaia, Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, La Découverte, 2016.
#AXE 3 : DISCRIMINATIONS? OU L’IRREDUCTIBILITE DU RESSENTI D’AUTRUI.
Police / violences
Nous nous intéressons à la fois aux témoignages de policiers racontant de l’intérieur le quotidien d’un métier difficile, et aux études sur les violences policières. Par exemple, l’essai de Didier Fassin, La force de l’ordre, enquête ethnographique au coeur d’une brigade, décrit et fait sentir combien la répétition des contrôles, les humiliations qu’ils représentent dans certains quartiers ou pour certaines populations, représentent une forme de harcèlement pour un nombre de personnes.
Ce qui nous intéresse là dedans, c’est à quel point ces violences sont inimaginables pour le reste de la population. Tous les autres qui n’y sont pas confrontés directement ont beaucoup de mal, voire ne peuvent pas, se représenter la réalité de ce qui se passe.
L’irréductibilité de l’expérience d’autrui, notamment de la discrimination
Plus généralement, ce point de départ nous amène à une question plus vaste : la prise de conscience qu’il est extrêmement difficile de se représenter la réalité de ce que peut vivre une personne, surtout si c’est une discrimination, et surtout si cette discrimination vient à l’encontre de principes que l’on croit universels et/ou suivis, existants.
Un homme peut avoir toutes les peines du monde à comprendre pourquoi certaines femmes insistent sur la réalité des remarques, situations, inégalités de nature sexistes qu’elles peuvent vivre. Au point parfois de s’en moquer, voire de le nier (« non, c’est faux, vous avez réussi à conquérir l’égalité »). Et au point aussi d’être rejoints par un certain nombre de femmes.
Un(e) blanc(he) peut très facilement n’avoir aucune conscience de la réalité et de la prégnance du racisme dans notre pays, et de ses conséquences au quotidien pour tous les non-blancs. La difficulté morale d’accepter d’être privilégié juste à cause de sa couleur de peau, le fait que cette réalité ne colle pas avec les principes de ce même pays, principes dont nous aimons à croire qu’ils sont réellement appliqués, l’effarement de ne pas savoir que faire si on en prend conscience, renforce, du moins c’est ce que nous pensons, la difficulté à entendre ceux qui sont victimes du racisme.
Même chose pour le handicap: quid de celui qui doit subir le regard gêné, voire dégouté et/ou méprisant des autres pour un handicap physique? Comment comprendre cette sensation quand on a un corps « normal »?
Etc etc etc. ce questionnement pouvant se décliner à l’infini (le riche qui ne peut pas imaginer ce que c’est de compter), mais nous intéressant particulièrement sous ces 3 angles de vue.
Donc : nous souhaitons creuser les discriminations, du point de vue de celui qui n’arrive pas à les imaginer, et en face de celui qui ne peut pas se faire entendre. Et les situations que cela génère, de repli ou au contraire d’explosion.
Passer par les expériences concrètes, le quotidien.
Si la formulation est jusqu’à présent plutôt théorique, nous souhaitons construire, comme dans violences conjuguées, un théâtre très « concret », très « quotidien ». Décortiquer ces problématiques dans des situations de la vie de tous les jours, nos vies, qui sont mises au plateau.
Travailler de notre point de vue.
A priori le point de départ n’est pas de prendre la parole pour ceux qui ne l’ont pas, mais de partir de nous.
Nous qui sommes plutôt globalement du côté des privilèges, malgré quelques caractéristiques qui nous font sentir peut être ce que peuvent être les situations des autres (un handicap physique pour Bryan, venir de la classe moyenne, être une femme…) et un intérêt très ancien pour la question du racisme et des discriminations. Et une certaine complexité de nos situations : en tant qu’artistes, qu’intellectuels, nous appartenons à des milieux cultivés, nous cotoyons des milieux bourgeois. Mais nous vivons aussi parfois dans une grande précarité économique, et ne parvenons pas toujours à briser certains plafonds de verre qui existent bel et bien.
Nous voulons mettre en scène des gens qui nous ressemblent pour interroger ce positionnement justement. D’un côté ou de l’autre de la domination sociale, économique, culturelle, politique, raciale, selon les situations. En partant de ce que nous connaissons bien, des discussions et des débats que nous avons entre nous pour les questionner et les remettre en question.
A suivre.