A la lecture du livre de Didier Fassin, La force de l’ordre, une enquête ethnographique sur le quotidien d’une brigade de la BAC en banlieue parisienne, nous avons eu l’intuition que ce sujet, est révélateur de la France d’aujourd’hui et de certaines de ses crispations.
Les relations de la police avec les habitants les jeunes des quartiers populaires, étudiée dans cet ouvrage, est un sujet particulièrement clivant (on est en gros soit défenseur des flics soit militant contre les violences policières); présente deux « groupes » (au sens où l’imaginaire social le construit en tant que tel) qui sont très exotisés. Les séries et films policiers, et aussi les images officielles qui tendent à présenter le policier comme un « robocop » (cf. Paroles de flics, de JM Godard) construisent majoritairement une image fantasmée d’un flic «cow-boy». De l’autre côté, les médias, récits politiques, aussi les films… ont construit un imaginaire du « jeune de banlieue » bien déterminé.
De plus : la police est la principale institution à laquelle l’Etat délègue l’usage légitime de la force. En face, tout usage de la force est toujours illégitime (dans les manifs, dans les émeutes).
Les policiers se trouvent dans une situation particulièrement intéressante : de part leur possibilité de faire usage -et abus-de la force ils sont un groupe dominant, mais de part leur situation sociale et leurs conditions de travail on ne peut pas dire la même chose! Leur situation pose la question du « pion », du « larbin », de la hiérarchie dans la police (l’échelon intermédiaire qui profite des primes au chiffre) et donc de l’organisation sociale globale (méthodes de management).
La question de la police et de la possibilité d’en parler, de la remettre en question est un bon indicateur de démocratie. Comment l’Etat laisse d’autres acteurs parler de la police? Comment sont traitées les bavures?
On s’interrogera donc sur la police des quartiers, son organisation, les conditions de travail, les personnes qui y travaillent, leurs ressentis, leur vision du monde etc….Et aussi sur les jeunes qui y vivent. On tentera de comprendre ce que peut représenter le harcèlement policier pour ceux qui le vivent quotidiennement : « Pour une partie importante de la jeunesse de notre pays, l’expérience la plus ordinaire de la violence et de l’injustice est liée à des interactions avec les forces de l’ordre dont la plupart des citoyens n’ont même pas idée ou dont, s’ils la découvrent, on leur fait croire qu’elle n’est que la condition du maintien de la paix civile ». (Fassin, p 27).
Qu’est ce que cela raconte sur l’Etat – comme force, comme service public- et sa présence sur les territoires? Sur la nation – comme groupe, comme commun? Comment ces questions traversent nos quotidiens, nos discussions, nos amitiés?
On pourrait partir d’un contrôle d’identité qui se termine par la mort d’un des interpellés. On suivrait ensuite dans la suite du spectacle ce qui se passe, au même moment, dans d’autres endroits complètement différents. La mort du jeune homme se répercute de près ou de loin dans chacune des scènes. Tous liés, mais pas tous concernés. On parle de la France, comme d’une famille dont tous les membres seraient éparpillés, resteraient vaguement liés les uns aux autres. Avec des dissensions, des absences, des conflits, des tabous, des oublis. Cette histoire est un dîner de famille avec une place restée vide: il manque un des enfants. Est-il trop loin pour venir ? A t-on oublié de l’inviter ?…